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You shouldn't mumble when you speak
1 août 2014

Je ne sais pas si tu t'en souviendras, dans dix

Je ne sais pas si tu t'en souviendras, dans dix ans. De cette blessure, et de cette année 2014 qui n'en finissait pas.

Qu'est ce que tu en as fait, des affaires, de tous ces morceaux de la vie passée ensemble pendant des années? Peut être que tu as tout rangé, étiqueté, jeté, chéri, déchiré, balancé. Les chemises à carreaux, les tables de nuits grises, les trente cadeaux pour l'anniversaire des trente ans. Les livres en VO, partout dans le petit appartement aux murs jaunis.

Qu'est ce que tu en a fait, des souvenirs? Les films telechargés et regardés sous la couette violette pendant que la pluie rayait la baie vitrée. De lui qui rampait sur le sol de la salle de bain quand tu restais trop longtemps à lire dans la baignoire, les doigts fripés et l'eau tiède. Il rampait pour te faire peur, mais tu finissais toujours par le deviner avant qu'il surgisse. Parce que les chats le devançaient. Toujours. Et ça te faisait rire, d'entendre l'aveugle ronronner dans le couloir non allumé. Les vidéos ensemble le dimanche matin, l'odeur du chlore sur tes cheveux quand tu rapportais à manger - deux muffins et un cookie, s'il vous plaît - de la petite boulangerie où il était impossible de se garer. Même si le temps de la piscine, c'était déjà la fin, c'était déjà le vide dans le ventre, la buée sur les lunettes bleues, pleure pas puce, pleure pas, ça va aller. Frappe le mur carrelé, fais toi mal, avance, ne pense pas. Qu'est ce que tu en as fait, de ces souvenirs là?

De cet étranger là, qu'il était devenu, celui avec les yeux tellement. Et sa voix. Les bleus sur tes bras, les bruices de la forme de tes doigts, que tu te faisais toi même la nuit parce que tu devais te serrer trop fort. Parce que c'était vide. Inside, outside. Du gris partout, et ce foutu soleil le week end qui ne se couchait jamais assez vite. Le vide, oui, et surtout le silence. Pleure pas puce, pleure pas. Tu te souviens encore, de tout ça? Les silhouettes des chats sur ton dos, et toi couchée sur le ventre. Ce ventre qui se serrait, qui ne voulait rien avaler, et qui faisait trembler tes mains. Tous ces kilos qui ont disparu, ce miroir qui n'en finissait pas de te renvoyer quelqu'un que tu ne connaissais pas. Plus lui, plus toi, plus personne. Toutes ses tasses à lui, contre le coin du meuble noir. Les morceaux de grès partout sur le lino clair, dans ta paume. Trop et pas assez. Cet appartement que tu haïssais, parce qu'il était laid. Tout ce que tu aurais donné pour retourner dans celui près du ciel et des montagnes. Mais à la fin, la laideur de celui ci était la seule chose qui te rassurais. Parce qu'il n'aurait jamais pu y ramener une autre. Pas dans tes draps, avec tes chats, dans tes affaires. Ailleurs, dans un café, un bar, dans ta ville, dans un autre pays, dans une autre langue, dans d'autres bras que les tiens et une autre bouche que la tienne. Dans un autre lit, dans ses mensonges qui ont éclatés durant ce mois pluvieux de décembre.

Tu t'en souviens encore, de cette fille que tu étais à ce moment là? Tu étais sa mère, tu étais son père, tu serrais ses bras avec tes mains. Ce 25 décembre, cachée de tous, cachée du monde et de la réalité qui venait juste de lui griffer le visage. Pas toi, s'il te plait, pas toi. Et une poignée de jours avant, leurs voix blanches au bout du fil. Pendant que tes jambes se dérobaient, que tu n'y voyais déjà plus rien, que tu savais que tout était fini, mort, enterré. Tu ne savais pas la suite. Tout ce qui comptait, c'était que ta valise n'était pas assez grande, et que tu ne savais pas quel chat prendre. Le roux, le noir, le blanc? Mes robes d'été ou mes gilets? Les chaussures? Les collants? L'appartement prenait l'eau, l'appartement prenait feu, et tu ne savais pas quoi évacuer. Tu te rappelles, cette nuit là?

Tu n'avais même pas réussi à te sauver.

Dans dix ans, est ce que tu te remémoreras encore tout ça? De cette peine là? A en mourir, à en crever, à se foutre en l'air, à disparaître. Le dos collé dans le coin du balcon, la balustrade en fer contre la colonne. Les lunettes noires pour conduire, parce que tu chialais tout le temps. Tout. Le. Temps.

Sauf devant les élèves. Jamais devant les élèves. Tu fermais la classe avant, et tu te planquais. Pour eux, il n'y avait que des sourires et des engueulades. La professeur avec des robes à fleurs, des tee shirt avec des têtes de mort, des tuniques avec des chats - Maîtresse, il y en combien? -, des bagues de toutes les couleurs. Eux, ils t'ont sauvé la vie parce que c'est la chose qu'ils faisaient le mieux. Avec leurs problèmes de primaire, leurs préoccupations adolescentes, leurs incertitudes de lycéens. Les mèches bouclées de cheveux roux de ton préféré, parce tu en as toujours un. Ses mots, ses syllabes impossibles à prononcer - tr - teu/reu,  regarde ma langue, regarde ma bouche, lève toi, regarde le miroir, encore, recommence, c'est mieux, c'est parfait - son rire.

"Maitresse, qui t'a fait mal?"

Souviens toi de ce qui t'a fait reprendre pied. De ceux qui. N'oublie jamais. Même quand ça ne fera plus mal, quand tu auras fini de cicatricer. Les voix venues de partout. Nord-sud-est-ouest. Les conseils, les engueulades, la patience, l'exaspération. L'amour. Les rires dans l'Est, et puis cette decoloration parce qu'il faut que je change, maintenant, aidez moi, maintenant. Le début du changement.

Les cheveux de plus en plus blanc, les lunettes rouges, les ceintures sur les vêtements qui ne cessaient de tomber des hanches. La colère. Les cris sous la douche, dans la voiture, dans le creux de tes mains, enfouis dans les oreillers. Les affaires dans les sacs poubelles, les sacs poubelles dans la remise, la remise remplie uniquement de toi et plus jamais de lui.

Cette première nuit sur ce canapé gris, les doigts collants de sel et de citron, et la respiration bruyante du propriétaire des lieux dans la chambre d'à côté. La tequila pour fêter la réussite qui t'empêchait de dormir, et ce premier message qui attire l'attention, sur fond blanc, de Celui qui. Même pas dans ta langue, surtout pas dans ta langue. Et chaque milieu de nuit, un nouveau. Jusqu'à ce que tu finisses par casser ta carapace, et ta routine de chagrin. Jusqu'à ce que prennes des billets de train, que la route t'accueilles à nouveau. Parce qu'il te fallait aller dans un pays inconnu, dans une ville dont la vue - des montagnes, un lac - ressemblait si fort à celle que tu aimais tellement.

Cette chambre d'hotel blanche et verte, les deux balcons, le soleil qui se dilue dans l'eau en attendant que le garçon arrive. Apollinaire et St Exupery sur les draps blancs, ce soir, on voyage léger ma belle, et puis. Son "tap-tap" sur la porte, plus de sang null part pour pour fermer les livres et eteindre la musique, pour se lever et aller appuyer sur la poignée en cuivre. Pieds nus en robe à pois sur le sol suisse.

Improbable. Imprévu. Indispensable.

Ses yeux bleus bleus bleus et un sourire permanent. Son frère avec sa barbe qui ressemblait tellement à. Forcement. Et puis, le serveur au gilet qui sert des cocktails beaucoup trop fort, le videur qui vous court après pour vous tamponner le bras et vous faire rentrer gratuitement, les passeports qu'il faut passer au detecteur. Les adolescents qui boivent des bières à même le sol, près du lac. Cette langue qui est la tienne mais pas tout à fait, qui te fait rire, et qu'ils ne comprennent pas. Les lumières de toutes les couleurs contre l'eau, ses doigts qui accrochent les tiens. Plus tard, les boutons dans la nuque de ta robe qu'il faut détacher, et la peau devenue mauve contre ta clavicule.

Et là. Encore une fois. La certitude qu'il fera parti de ces gens qui ne savaient pas, qui ne sauront jamais. Tout ce que tu leur dois.

Alors s'il te plait, même dix ans après, souviens toi, de ce moment là. Au creux de l'été de cette année qui s'étirait, et qui n'en finissait pas.

La vie qui battait de nouveau, et tes mains qui ne tremblaient pas.

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