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You shouldn't mumble when you speak
6 janvier 2016

Le 21 décembre 2011, j'emmenageais dans mon

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Le 21 décembre 2011, j'emmenageais dans mon studio contre le ciel. C'était la deuxième fois que je venais dans ces montagnes qui allaient me voir courir partout. Avec ma canne, sans ma canne. Sobre. Alcoolisée. Avec mon bonnet en grosse laine beige enfoncé jusqu'aux yeux, mon écharpe en millier de tours autour de mon cou. Sous la pluie, sous la neige, sous le soleil. Monter et descendre de la montagne. Aller se perdre derrière les chalets durant ces semaines d'été avant les examens, celles où tout le monde avait choisi de rentrer dans son foyer. J'étais restée et j'avais l'impression d'être sur la Lune. Pour la première fois seule et inconnue, pour la première fois seule et très émue. Je regardais des séries la nuit, et j'allais marcher quand le soleil se couchait et que tout était rosé. Je m'allongeais souvent sur le parquet à fixer le ciel, et je me levais la nuit pour regarder les étoiles dont je me sentais plus près. I'm an alien, I'm illegeal alien, on chantait, quand on allait faire des karaokés dans ce bar improbable où on finissait toujours par boire trop et trop danser.

Il fait moins douze putain il fait moins douze putain, je rabâchais en regardant la température le matin. Et ça me plaisait, hein, bien sur que ça me plaisait. Le froid, le grand froid comme dans mes romans d'enfant qui parlaient de loups et de Canada. Je marchais en écoutant du rock, et P. finissait toujours par me rejoindre. Il me voyait passer sous sa fenêtre, et il me rattrapait puisque je marchais comme une tortue. Je regardais les montagnes, je regardais les corbeaux, je dodelinais de la tête et j'augmentait le temps de mon trajet. Je n'ai jamais vu ça comme du temps perdu. Comme les bières à la framboise qu'on trinquait en regardant les nuages. Le gaufrier jaune que j'avais acheté et presque jamais utilisé. Le lierre que j'avais baptisé, posé sur mon étagère avec les piles de livres qui s'accumulaient. Phonologie, pédagogie, vies de tueurs en série puisqu'il y avait un rayon criminologie à la mediathèque toute en verre. J'empruntais les bouquins, je les lisais entre les cours et je faisais pousser des cris écoeurés à celles qui venaient lire les titres. Je riais, et puis parfois je me faisais peur et je n'arrivais plus à trouver le sommeil donc je vérifiais que ma porte était bien verrouillée.

Un soir, en rentrant d'avoir bu, ri, et bu encore, j'avais trouvé un chat sur mon pallier. Au dernier étage. Sur mon paillasson, qui m'attendait. Blanc et noir, et qui osait même me miauler dessus, pour que je le laisse entrer. J'avais descendu tous les escaliers en bois, j'avais regardé partout et laissé un mot en énormes lettres dans le hall d'entrée. Le matin, on avait sonné et j'avais accueilli un voisin que je ne connaissais pas, avec un air endormi et les jambes nues. Il avait jeté un coup d'oeil dans la pièce, et j'avais vu son air perplexe et étonné. J'avais fini par pointer la bosse de ma couette, et il avait ri en disant mais enfin mais pardon mais normalement il ne s'enfuie jamais dormir avec des inconnues. Ca n'arrive qu'à toi tout ça, elles m'avaient dit le lendemain, pendant que je racontais. Les chats perdus, les enfants un peu cabossés, les bébés oiseaux, les gens passionnants et leurs passés en étoiles qu'il faut en constellations relier. Pour les comprendre, pour les connaître et pour nous apprivoiser. J'attire la vie, et elle m'attire comme un insecte qui se brûle à toutes les lumières par lesquelles il est hypnotisé. Fasciné. C'est pas grave les brûlures. C'est pas grave les fêlures. Il n'y a rien qui n'ait jamais guéri, il n'y a rien qui n'ait jamais cicatrisé.

En décembre, il y a quatre ans. J'avais vingt quatre ans. Je venais d'acheter mon reflex, et je voulais tout photographier. Les montagnes, la neige, mon premier chez moi pour de vrai, mon premier emménagement si loin et si salutaire. Lui à la fenêtre qui fumait. Je suis retombée sur cette photo sans le vouloir, et sans me souvenir vraiment. Ma dernière jolie, et peut être la seule que je vais m'autoriser à garder. Parce qu'elle est belle, parce que la neige était bleuté et le ciel rosé. Parce que ce sont les couleurs de là bas dont je voudrais me souvenir. Le soleil qui se levait, et nous quand on ne souffrait pas encore. Un peu plus jeunes, peut être amoureux, nos sentiments pas encore morts. Pour dire les liens en signe, on forme deux ronds avec le pouce et l'index, et on les imbrique l'un à l'autre comme si on n'allait jamais pouvoir les séparer. Et pourtant, il y a eu après. Les années qui ont passé, et nous deux qui avons changé. Évolué, on a dit, évolué. En bien ou en mal, évolué c'est changer par rapport à une direction qu'on avait déjà d'implanté. Et avec cette année, j'ai encore envie de continuer à me modifier. Me développer. Déambuler dans mes nouvelles peaux et me naviguer vers ce qui me plaît. Reprendre mon reflex et reprendre en photo le monde qui m'entoure et qui ne cesse, lui aussi, de se transformer. Filmer aussi, filmer vraiment, filmer pour de vrai. Montrer un peu tout ce que j'ai de beau autour, tout ce qui me nourrit et me fait danser.

En 2016, je ne vis plus dans les montagnes mais la ville dans laquelle je suis revenue n'est plus la même non plus. Je voudrais la montrer alors que j'y tisse un cocon cet hiver où je cherche à me comprendre, et peut être à muer. J'aimerais montrer le cabinet gris où je me tords les mains et où j'avoue, incertaine et intimidée, mais moi je n'arrive pas à me pardonner, vous savez. J'aimerais montrer ma voiture où je danse, et chaque tramway que je regarde passer en les détaillant d'un peu trop près, parce que. Et puis, montrer aussi les photos des livres qu'on s'envoie avec A. et les passages des miens que je lui sélectionne parce qu'il n'a jamais le temps de lire, parce qu'il est toujours pressé. Je voudrais filmer les branches des arbres qui s'agitent avec la pluie, et moi qui marche dessous en remuant la tête pour voir voler mes mèches mouillées. Je voudrais filmer la couleur du matin, qui se dilue sur ces immeubles qui me rappellent toujours Bangkok à l'aube. Je voudrais filmer la douceur en vélo la nuit, l'obscurité tout entière qui m'accueille et m'étreint comme une vieille amie. Le salon de thé avec une verrière si grande, que je passe mon temps le museau levé. L'accent italien du serveur qu'on ne cesse de faire parler, exprès. Mes lunettes rouges que je remet, parce que. Les mains qui parlent, et mon allemand où j'apprends enfin Ich wünschte. Je souhaiterais. Si seulement. J'aurais aimé. Je voudrais filmer cette chrysalide, cette nymphe là, où j'attends patiemment et où je me construis avec tout ce dont je suis déjà constituée.

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