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You shouldn't mumble when you speak
6 avril 2016

"Merci de m'avoir écouté", chuchotait Ginger Boy

 

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"Merci de m'avoir écouté", chuchotait Ginger Boy dans le noir, le dos tourné. Et moi, je faisais "pfff" et je me marrais dans l'obscurité. Des quatre coins du monde, on me dit ça. Dans la journée, il avait même prononcé la phrase que je connais, "Mais je ne sais pas pourquoi je te raconte ça". Et je crois bien que les gens avec qui je parle parle parle, ça reste mes personnes préférées. Mais là, j'avoue, je ne m'y attendais pas. Ce week end, cette semaine là

Dans le soleil, allongé sur la terrasse de chez ma grand mère. Je discutais avec elle, et je buvais du vin blanc en mangeant des chocolat de pâques. Et puis, dans l'herbe avec ma robe multicolore, je lisais le deuxième Vernon Subutex. Enfin, je le dévorais d'une traite et j'en étais limite contrariée, d'autant aimer. J'avais laissé mon téléphone à charger et je regardais les allers et venues de ma grand mère. Je regardais le ciel bleu à travers mes doigts, j'écoutais les oiseaux et je me disais "Mais que ce samedi est joli mais que ce samedi est joli". Et puis, en rentrant pieds nus sur le carrelage froid, un message sur mon répondeur. Ginger Boy et le reste de la famille, hey hey hey on va sur les quais, tu viens? Alors j'ai dit "à lundi" à ma grand mère et aux pins parasols, et puis je suis partie. La route était déserte et il y pleuvait du soleil. Je chantais très fort "The mirror stares you in the face and says,"Baby, uh, uh, it don't work". Le temps d'arriver dans ma vieille grande ville, la jumelle disait au revoir  parce qu'elle se sentait fiévreuse. Alors on est parti prendre un verre au pub d'A. que j'ai pris dans mes bras en le trouvant encore plus fatigué que d'habitude. Et on buvait du vin blanc en riant, on riait en buvant. On parlait de la synagogue où Léa voulait m'emmener et je répondais oui oui oui s'il te plait. On regardait le soleil décliner, et on discutait de nos vies. On devait ressortir le soir avec Ginger Boy qui me proposait de me faire à manger chez eux avant de repartir. Du coup on a fait la course en vélo et j'ai perdu, évidemment.

A l'appartement, le coloc anglais venait à peine de se réveiller. On a mangé tous ensemble dans les canapés cabossés. Il parlait de l'accent du sud de l'Angleterre et c'était fou à quel point ça ne faisait plus mal. Je lui disais oui oui, je connais. Je mangeais mon assiette préparée juste pour moi, et je regardais les trois autres faire leurs sacs. A côté de moi, on me demandait "On sort ou on reste ici?" et je dodelinais de la tête. Une couette bleu sur le canapé jaune plus tard, on regardait un film sur la fin du monde et on oubliait d'aller dans les bars. J'avais une immense veste pas à moi sur ma robe à pois, et sur mes yeux mes doigts. Beurk beurk beurk, les extra terrestres. A la fin, il était tard, et il m'a proposé de rester dormir plutôt que de rentrer. Je pensais à mon vélo dans le froid, et j'acquiesais. Même si je ne dors jamais vraiment, avec quelqu'un à mes côtés. Je me réveille beaucoup, et je m'amuse souvent de voir comme les gens ressemblent tellement à eux mêmes quand ils dorment. Ginger Boy m'a souhaité bonne nuit en hollandais, et s'est endormi dans le coin du lit, le dos tourné. Et je souriais dans le noir de toutes ses barrières qu'il ne cesse de se trimballer. Sauf qu'il ne reste pas en place, et que je l'ai retrouvé accroché à mon épaule quand j'ai ouvert les yeux à nouveau. Puis sur mon bras. Puis avec ma main dans les siennes. Puis à parler et à rire tout seul. Dans les multiples fenêtres de la chambre, la lune changeait d'endroit à chaque fois que je me reveillais. Et même si mon sommeil était compliqué, j'étais fasciné. Au matin, il m'offrait des ceréales avec du yaourt à la cerise dessus comme petit dejeuner. Du thé dans des verres à pintes, le soleil, la ville en dessous, mes jambes qui se balancaient sur du Tracy Chapman, mon manque de sommeil, les sourires partout.

Je devais partir à midi. Et puis, j'ai fait le chat. Sur le grand tabouret rouge de la cuisine, je ronronnais au soleil et je l'écoutais parler. Et c'est fou la vie des autres, et c'est fou de ne jamais avoir rencontré quelqu'un qui n'était pas important. Pas intéressant. Le destin des autres, tous leurs embranchements. Toutes les peines, les souffrances, les choses qu'on ne dit pas forcement. Qu'on me dit parfois à moi, parce que je suis toujours là à traîner dans les vies des gens et que je pose mille questions. Je me suis mordue les lèvres quand il m'a montré ses vidéos du collège et que j'ai regardé l'année inscrite sur le titre. Oups oups oups Ginger Boy, j'oublie toujours que tu es né un peu tard quand même. On a encore parlé, et il était de nouveau minuit. Je me suis frotté les yeux avant de me lever pour aller chercher mon vélo, et il m'a proposé de dormir encore là. Et qu'on verrait bien le lendemain pour repartir. J'ai souri parce que c'était bien mon genre, de ne jamais rentrer à la maison parce que je m'amusais trop dehors. J'ai demandé un tee shirt ce coup ci, et je me marrais d'en avoir un avec un chat orange imprimé. Le dos tourné à moi, le bonne nuit en hollandais, et moi qui ricanait dans le noir en virant une peluche au nom allemand. Et avant que je comprenne, lui déjà endormi, son dos collé contre moi et mon bras pris pour être rabattu sur lui. Et toute la nuit, ma main gauche toujours dans les siennes quand j'ouvrais un oeil. Quand le réveil a sonné et qu'il faisait encore terriblement noir dehors, je l'ai entendu grogné et j'ai ri. Alors j'ai passé mes ongles dans ses cheveux et sur son dos, pour que ça soit moins dur qu'il soit si tôt. Il s'est tourné avant de se lever, son pouce sur mes lèvres et je crois qu'en dessous, je souriais. Il part bientôt, très loin et très longtemps donc on sait bien qu'on n'a rien à faire, à construire, à développer. 

Alors justement, on passe du temps ensemble, dans cette coloc improbable où on rit tellement. Sa jumelle à lui qui parle de géographie, le grand frère et sa copine que j'aime tellement. Avec qui j'ai dévoré des tartes aux citrons pendant qu'elle me racontait l'enfer de 2014, et cette envie de mourir qu'elle avait retrouvé dans mes textes. La connivence de ceux ont souffert. Nos plumes. Nos cicatrices et nos rémissions sincères.

A l'appartement, je traîne près des plaques pendant qu'il cuisine. Je bois du vin, je pose des questions et il essaie de me répondre en signes. On est toujours sur le même canapé dans le salon, et c'est toujours quand je me lève pour rentrer chez moi qu'il m'attrape et se met dans mes bras. L'autre soir, il s'est endormi la tête sur ma poitrine. Les sourires des autres en rentrant et moi qui me justifiais "non mais ce n'est pas ce que vous croyez". En ouvrant les yeux une heure après, il avait la couture de mon débardeur imprimé sur la joue, comme un pirate mal réveillé.

Il m'embrasse au coin des lèvres pour me dire au revoir,  il se couche loin de moi et je le retrouve collé dès qu'il s'endort. Il est venu prendre un livre le dernier matin avant que je parte, et dans ses bras je l'entendais dire tout bas "tu vas me manquer". Il est jeune jeune jeune, et je ris toujours de toutes les réponses scandalisées que je reçois quand je finis par raconter. Nous ne sommes rien et c'est mieux comme ça, j'ai des rendez vous avec mes Boys de l'autre côté de l'océan pour ces vacances là. Mais j'étais un peu triste dans le train, un peu perturbée de quitter ce monde où on m'accueille et je me sens bien. Cette famille et ces gens tellement chouettes que je suis si fière d'avoir comme nouvelles personnes dans ma vie. Rencontrées par hasard, par chance, par conséquences des choix remplis de vie qu'on avait fait.

Cet appartement très grand où je ris à en pleurer, où on me prépare des assiettes juste pour moi. Où on me parle des problèmes de l'Irak, du Brésil et de l'Iran. Des conflits de gémélité, tiens tiens tiens, c'est quand même quelque chose que je connais. Où on me raconte des deuils insurmontables, des épreuves si difficiles et toujours la vie qui prends le dessus et qui fait avancer. Où je peux me glisser dans une chambre et sous trois couettes pour murmurer "Mais à part dormir, tu fais quoi?" et entendre sourire dans le noir. Et l'entendre répondre "tu m'as massé hier et je n'ai pas eu mal de toute la journée". Et l'écouter parler du nom des couteaux, du caviar, des framboises et des signes qu'il essaie d'apprendre aux autres pour communiquer à distance près des fourneaux. Contre le lit, la carte de l'Inde qu'il va parcourir et celle du monde qu'il visitera aussi. Bientôt, en automne. En attendant, ses cheveux roux entre mes doigts et moi qui râle "Vous faites chier à être si grands!" quand je suis au milieu des trois. Et que tout le monde a au moins une tête de plus que moi. On se revoit dans trois semaines, le temps de vadrouiller loin pour moi, et lui de retourner dans les terres aux tulipes. On se revoit tous ensemble, et on trinquera encore en français, et on dira "Prost" aussi vu que c'est pareil qu'en allemand. On rira de nos vies en fouillis, de nos histoires pas très bien rangées. Leurs jeunesses à eux trois, le même âge de Léa et moi. Le mois de mai est toujours mon préféré. 

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