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You shouldn't mumble when you speak
4 octobre 2014

Le mercredi, je traduis dix heures de cours. J'en

Le mercredi, je traduis dix heures de cours. J'en sors vidée, épuisée, les cheveux en bataille et la gorges desséchée. Et pourtant j'adore me faufiler dans les classes des autres et parler de choses que je ne connais pas. Voir les élèves dessiner pendant des heures, casques sur les oreilles, marqueurs de toutes les couleurs étalés sur les tables. J'amène toujours un livre pendant ces cours, parce que je n'ai pas grand chose à reformuler à mon étudiante. Je la regarde utiliser ses outils, je l'écoute me parler de ses soucis, je corne les pages, et je nous achète des cappucinos immondes à la machine à café.

Le soleil bouge à travers les fenêtres du toit, puis dans l'immense baie vitrée.

Parfois, mes signes pour lui répéter-rabâcher-rappeler "Tu es forte". Parfois, sa main sur mon épaule, pour me répéter-rabâcher-rappeler "Tu es aimée".

Si je deviens une vieille dame un jour, la peau tirée, les cheveux nuageux et les taches jusqu'à mes jointures, j'espère que je m'en souviendrais. De mes petites ancres, minuscules, fragiles. Indestructibles. Celles qui maintiennent à la vie, et qui empêchent de trop dériver.

Les élèves.

Qui manquent pleurer quand ils te voient avec une minerve. Et pour qui tu dois dire et signer, "Maîtresse va bien, ça va aller". Les bras autour des jambes, les baisers sur les phalanges, les si petits doigts qui essaient s'en arrêt de se frotter sur les nuages sur les bras. Ceux qui sont encrés.

Les poètes.

Prévert en 2012, pendant que mes bottes grises toutes neuves imprimaient des dessins de fleurs sur la neige de la nuit. Bonnet, écharpe, gants, cape, Green Day. A la médiathèque, jusqu'à huit livres empruntés autorisé. Dans mon sac à dos rose, des crimes, de l'histoire, des recettes végétariennes et toute la bibliographie de Jacques Prevert. "C'est ce qui est tatoué invisible sur mon corps tout entier, mon corps aimé, caressé, admiré". Choquée. Sonnée. Les poèmes entre mes mains sous ma grande fenêtre contre le ciel.

"Serre-moi dans tes bras / Embrasse moi / Embrasse moi longtemps / Embrasse moi / Plus tard il sera trop tard / Notre vie c'est maintenant / Ici on crèv' de tout / De chaud et de froid / On gèle on étouffe / On n'a pas d'air / Si tu cessais de m'embrasser / Il me semble que j'mourais étouffée"

Apollinaire en 2014. "Alcool" entre le lac et les montagnes de Montreux. Sur les draps blanc de mon immense lit, à côté du Saint Exupery usé.

"Tu as fait de douloureux et joyeux voyages / Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge / Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans / J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps".

Dans les heures vertes de mon attente, dans un pays qui n'était pas le mien, le coeur passé à l'épluche pomme. Les vers crayonnés sur du papier, mes lèvres mordues par mes propres dents. Plus tard, "Lettres à Lou" par surprise dans ma boite aux lettres. Comme une main sur l'épaule, encore. "Tu es aimée". Dans mon bain, je me cache sous l'eau mousseuse et le vin blanc, "Pour le moment, je préfère mourir et ferai possible pour cela. Si pas possible, on verra". Entre les lettres, une photo de Lou du 4 août 1915, légendée "couchée dans l'herbe, la croupe montagneuse". Lèvres de nouveau martyrisées.

Les chanteurs.

Invariablement. Ceux avec une guitare.

Jack Johnson en 2009. Qui était le seul à faire arrêter de trembler, quand il fallait se lever si tôt pour partir travailler dans ces endroits si laids. Les mains qui agrippaient les barres métalliques des lits médicalisés, et les gens qui mouraient. Ou qui suppliaient. Et je n'arrivais pas à savoir lequel était le pire. Puis, plus tard, les uniformes et le bruit des caisses enregistreuses, même la nuit. Casque rose sur les oreilles. Can't you see it's just raining ? There ain't no need to go outside. Inspirer. Respirer. Le monde était gris. Avancer.

Jason Mraz en 2010. En Thailande, quand j'appuyais mon front sur le sol poussiéreux de tous les temples, mes longs cheveux noirs éparpillés, et que je priais en hurlant dans ma tête. Dites moi ce que je dois faire - Dites moi qui je suis - Dites moi ce que je dois faire. Et soudain, dans les heures de bus, et celles, collée sur ma serviette entre le sable - blanc - et le ciel - bleubleubleu -. Cette voix que je connaissais pas encore. Que j'avais emporté sans regarder. Le choc.

It takes somme silence to make sound / It takes a loss before you found it / And it takes a road to go nowhere / It takes a toll to make you care / It takes a hole to make a mountain.

Ed Sheeran en 2013. Pendant les heures de voiture, le premier album. Le orange. Dans le brouillard du matin qui rendait les arbres ectoplasmiques. My heart against your chest / Your lips pressed to my neck / I'm falling for your eyes, but they don't know me yet. Et, un soir, le chaos de fin d'année. Puis, l'été, et découvrir le deuxième album. Le vert. Le casque bleu. Les doigts emmêlés dans le fil, se demander comment le chaos pouvait être aussi contagieux. Oh no, no, don't leave me lonely now / If you loved me how'd you never learn / Oh colour crimson in my eyes / One or two could free my mind.

Et Nina dans les premiers jours de l'automne, juste parce que. Love will come and love will go / But you can make it on you own / Sing that song, go, won't you leave me now / People grow, and fall apart / But you can mend your broken heart / Take it back, go, oh won't leave me now.

Ancrée.

 

 

 

 

 

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