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You shouldn't mumble when you speak
3 novembre 2015

Aujourd'hui, une élève a hurlé comme si elle

Aujourd'hui, une élève a hurlé comme si elle mourait. Un cri immense, qui a rempli tout l'air autour et m'a coupé de ce que je disais. Quelque chose de si fort, de si monstrueusement puissant qu'on aurait dit quelqu'un qu'on achevait. Qui a gelé tout ce qui en moi vivait et arrêté ma respiration le temps d'un battement ou deux. Inspirer. Expirer. Attendre que le sang revienne et se remette à circuler mieux. C'est comme ça quand on ne s'entend pas, et que le monde est quelque chose d'incroyablement flou et oppressant. Les hurlements sont la seule chose qui reste pour s'exprimer. Pour montrer notre appartenance à cette espèce, pour partager ce besoin intrinsèque d'être reconnu et accepter. D'être entendu. Pour vomir tout ce qui fait mal et qui donne envie de tout arracher. Le dedans, le dehors, le nul part et le partout. Ces cris qui tétanisent parce qu'ils font tellement peur, et parce qu'ils rappellent ce qu'on dissimule à l'interieur de nous. Parce qu'ils renvoient directement à toutes nos souffrance englouties, à toutes nos blessures et nos brèches qu'on tente de camoufler en se convainquant qu'elles sont finies. Et qui s'ouvrent à nouveau, et qui nous avalent comme s'il n'y avait jamais eu aucune barrages pour nous mettre à l'abri. Comme si on était nu encore, comme si on n'avait jamais fait aucun effort. Comme si on se retrouvait avec les ongles encore ravagés d'avoir trop creusé pour enterrer tout ce qu'on ne voulait pas voir. Et qui se met à réagir, qui se débat à l'interieur et qui voudrait tellement être à l'unisson avec cette voix qui raconte son désespoir.

Alors il faut s'enfermer dans sa classe, et attendre un peu que cela passe. Inspirer. Expirer. Chasser ce qui ne veut pas se dissoudre et s'agglutine, ce qui forme des blocs trop lourd dans sa poitrine. Parce qu'ils ont raison quand ils crient, quand la gorge leur fait mal d'avoir trop mugi, d'avoir trop rugi tout qu'ils pouvaient. Et c'est quelque chose qu'il faudrait pouvoir vivre pour comprendre, qu'il faudrait pouvoir expérimenter. Ce besoin presqu'animal, ce besoin presqu'ancestral, de vouloir hurler avec les loups. De laisser tout sortir, de laisser tout ravager et ne plus rien contenir. Laisser les fauves tout lacérer, détruire et montrer notre extrême impuissance au monde entier.

Regardez comment je souffre, et voyez comment je suis constitué. Fixez bien cette peine que je n'arrive pas à déguiser, voyez bien ma colère que je n'ai jamais su diminuer. Que j'ai camouflé, que j'ai habillé avec des habits bien contenants et bien sages, que j'ai bien coiffé et si joliment maquillé. Et tout ça qui voudrait maintenant s'échapper et te laisse démuni. Tous les masques qu'on garde, et qu'il faudrait pouvoir jeter. Arracher avec les ongles et se défigurer. Griffer ces convenances et crier avec eux contre tout ce qui nous rend malheureux. Je souffre. Je me sens tellement seul et je voudrais tellement être réconforté. Je voudrais de la bienveillance et j'ai mal à en crever. Je voudrais tellement qu'elle ne meurt pas et qu'on me laisse ces personnes que j'ai si près. Je voudrais tellement que toi, tu ne t'enfuies pas quand je te demande de rester. Que toutes ces personnes ne nous aient pas fait autant de mal, et qu'on puisse construire quelque chose plutôt que de l'avorter. Et qu'on ne se retrouve pas finalement à rester avec ce silence malgré nous, ce si long silence qui n'en finit pas de se dérouler, de s'aggrandir et se multiplier. Cette solitude lancinante quand on pourrait être heureux, cette douleur d'un membre fantôme quand on pourrait être deux. Il faudrait pouvoir hurler avec eux plutôt que de se cacher, crier comme une bête qu'on abat et qui se débat. Contre ce qui nous brûle et nous torture, doucement, une entaille à la fois. Toutes nos si immenses peines, ce qui nous désarticule individuellement et nous fait appartenir à l'espèce humaine. Les gouffres sur lesquels on se balance, nos failles trop grandes pour être comblées. Nos faiblesses immenses et notre besoin de consolation impossible à rassasier.

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