Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
You shouldn't mumble when you speak
9 janvier 2016

"Hey?" "Oui?" "Je t'aime" Alors j'ai ouvert grand

IMG_8871

 

"Hey?" "Oui?" "Je t'aime"

Alors j'ai ouvert grand les yeux, mes mains ont répondu avant ma pensée, et j'ai bredouillé "merci" pendant que mon adolescente quittait la classe. J'ai avalé ma salive plusieurs fois en essayant de faire redescendre mes larmes. J'ai cligné des yeux et mon reflet flou souriant dans le miroir. Cette élève et ses problèmes, sa culture, sa vie difficile et sa colère tout le temps. Et moi qui ricane quand elle me pose des questions et qu'elle finit toujours par répondre qu'elle n'aime pas, qu'elle déteste, que ça l'enerve. La dernière fois, c'était parce qu'elle m'avait vu réviser entre mes cours. "Tu apprends quoi?" "L'allemand" "J'aime pas, c'est moche, je déteste". Et moi de pouffer pendant que je fermais mon application. "Toujours toi tu dis j'aime pas, toujours toi tu dis je déteste". Et ça la fait toujours rire, et moi aussi. Qu'elle n'aime pas mes cheveux, mes livres, ma musique, mon dernier tee shirt de ce groupe de rock si nul, mes voyages, mes tatouages. Elle sait très bien que ça m'est égal, que ça ne compte pas les avis des autres sur moi. Je lui ai bien répété, en début d'année. Tu peux avoir ton avis, et c'est bien, mais tu sais moi je fais toujours ce que je veux. Une seule fois, on s'est disputé et j'ai crié très fort pendant qu'elle me répondait. Elle était partie en claquant la porte et moi mes mains tremblaient. Le cadre à définir, et ses rebords qu'il faut réussir à tenir. Depuis c'est réglé, notre relation est en progrès. Ce métier mon dieu ce métier.

Vendredi, je passais l'après midi à écouter ma formation en psychologie. J'envoyais des messages à mon collège préféré pour lui ok, t'avais raison, ce formateur il est plutôt mignon et je me resservais des cafés. Je notais les références, les livres et tout ce qu'on nous expliquait sur l'autisme et sur la façon de se confronter au monde. Je revoyais mon jugement sur ceux pour qui j'avais eu des doutes, et j'écoutais comment c'était, d'être différent en pensée. A la fin, je suis partie m'enfermer dans ma classe pour peindre mes ongles de jaune et de bleu, pour pouvoir montrer que je supportais une équipe chère à un autre coeur que le mien. J'ai roulé avec mon vélo sous la pluie, et j'ai rejoins A. avec qui j'avais choisi de partager les tickets qu'on m'avait donné. On a bu un peu, on a bu beaucoup. On a retrouvé ses amis, et celui que j'aime bien et qui fait le tour du monde. Celui qui n'est pas très heureux en amour, et dont A. me disait Je crois qu'il n'est pas bien avec cette fille, mais qu'est ce que je peux y faire? Et moi de tendre mes paumes et de secouer la tête. Ne te mêle pas de l'amour des autres, jamais. Sois là et attends, sois là et sois patient. On a continué à commander et au deuxième verre vidé j'ai fini par lui dire tu peux me parler en anglais, je comprends en vrai vu qu'il changeait d'une langue à l'autre. Mais c'est parce qu'on a l'habitude de se parler en français nous deux, c'est pour ça. Alors je lui ai avoué, tu sais, moi je parle anglais avec tout le monde mais ton accent ça me rappelle celui de mon ex petit ami qui disait que mon anglais était trop mauvais. "The british accent, it's like PTSD to me", alors on a ri. Et quand il a demandé combien, j'ai répondu "seven years" et il a eu l'air surpris. Et on n'est pas trop revenu en français. Un point de gagné. On a couru sous la pluie pour attraper le tramway, et on a encore commandé à boire dans la rue à côté du stade. Et tout le monde le connaissait, tout le monde le saluait. Je levais un sourcil pendant qu'il me décrivait, lui un négociant, lui un ancien habitué, elle une femme de l'un des joueurs. Des nouvelles bières dans les tribunes, nos rires et nos exclamations dans plusieurs langues. "Bolloks", je l'entendais jurer alors que je commentais le match sur mon téléphone et que je m'amusais décidément trop pour être concentrée.

Le coin vip, la mère de A. qui me reconnaissait et moi qui serrait les dents en souriant. Rencontrer les mères, c'est encore un peu compliqué. Petite douleur entre les côtes, le souvenir de cet endroit, de cet été, de tout ce qui a été et ne sera plus. Le manque en forme de foudre, qui n'est pas encore tout à fait terminé. Et puis mon ancienne belle mère aussi, qui ne peut plus faire parti de ma vie et que j'ai appris à desaimer. Mais c'était toujours un peu compliqué, un peu mal cicatrisé, un peu encore vif sur les coutures et sur ma plaie. Alors je me suis resservi à boire pendant qu'A prenait ma main aux ongles colorés pour l'agiter devant le visage d'un joueur de l'équipe opposée et que je devais me justifier. Mais non mais c'est pas moi c'est un ami c'est pour ça. Le reste était un peu flou, le reste était un peu en train de nous ressembler. Reprendre le tramway, les vélos, partir boire encore puisqu'il semblait qu'on n'en aurait jamais assez. Moi et mes doigts sur ma cuisse à expliquer mon tatouage sans savoir comment on en était venu là. Son asthme, son ancienne petite amie qui faisait des fautes en anglais mais qu'il trouvait cute. Moi et mes question que je n'osais pas poser, sur le fait que peut être qu'il aimait aussi un peu les garçons, non? Les secrets qu'on a encore a partager, son verre de rhum que je lui piquais en répétant mais qu'est ce que c'est dégueulasse mais je ne comprends pas comment tu fais alors que lui refusait de trinquer avec mon verre d'eau et que j'ai du commander en soupirant un autre verre, mais celui là, c'est le dernier. Je lui ai donné un cours de langue des signes, puisque je commençais à avoir trop bu et que j'étais encore en train de changer de langue. On a fini nos verres, il pleuvait dehors mais ma peau ne sentait plus rien. Ni le froid, ni le chaud, juste que c'était joli de réussir à autant rire en une nuit, et d'autant s'amuser.

On a repris les vélos, et je l'ai raccompagné jusqu'à chez lui puisque c'est ma chose préférée. Être bien sûre que les garçons rentrent bien chez eux en sécurité, parce que j'ai toujours l'impression de ressembler à un chevalier. Je ne suis plus sure de lui avoir dit au revoir, juste que la route était si longue jusqu'à chez moi. Une demi heure à pédaler avec les yeux froncés, et les rebords des trottoirs qui tapaient parfois contre ma roue avant. Le lendemain matin, la tête enfouie sous les oreillers et comme le mal d'une mer déchainée. Mes ongles bariolés, mes yeux pas démaquillés, mes vêtements partout sous le bureau, sur mon plan de travail et en boule sur mon plancher. Boire des litres de thé et de café, recroquevillée, et souffrir beaucoup. Mais le coin de mes lèvres remontées quand j'ai fini par écrire que j'ai si mal à la tête si tu savais, mais merci, ça valait le coup.

Publicité
Publicité
Commentaires
K
J'aime beaucoup cette façon que tu as d'écrire sur des choses intimes sans jamais entrer dans les détails. C'est vraiment pas facile à faire en plus. Alors bravo.
You shouldn't mumble when you speak
Publicité
Archives
Publicité